Rester à l’affût des tendances est une nécessité pour l’e-commerce. Pour vous adapter aux besoins de votre clientèle, vous vous êtes certainement posé la question d’accepter des transactions sur votre site e-commerce en bitcoin ou autre cryptomonnaie ? Parce que son statut est plus que flou, l’AMF vous recommande la plus grande frilosité. Marquée par un boom des opérations d’ICO (Initial Coin Offering) sur le marché des cryptomonnaies, liés la blockchain et le bitcoin sont deux innovations majeures du commerce en ligne (cf article enjeux de la blockchain) mais ils posent néanmoins des questions en termes de gouvernance et de régulation. Des réponses émergent aux Etats-Unis pour tracer un cadre à ce marché florissant.
Avec plus de 2 milliards de dollars levés depuis le début de l’année, soit 20 fois les montants de l’année 2016, le marché des ICO est en ébullition. L’absence de régulation n’est pas étrangère à son succès mais cette situation pourrait bientôt évoluer en premier lieu outre Atlantique. Depuis l’été, plusieurs régulateurs – et notamment la SEC américaine – voudraient encadrer ces appels publics à l’épargne d’un nouveau genre où les tokens remplacent les titres financiers.
Des atouts non négligeables pour mon e-commerce :
Pour les e-commerçants, les deux technologies représentent un véritable changement de paradigme. La perspective d’une économie en ligne au sein de laquelle tous les intermédiaires seraient supprimés, pour des échanges directs entre vendeurs et clients suscite l’intérêt ! Les applications sont nombreuses et les sociétés dans le secteur de la banque des assurances et du commerce en ligne sont les premières à être impactées. Le principal atout pour les entreprises spécialisées dans le e-commerce est de pouvoir proposer des transactions se passant d’intermédiaires donc de versements de commissions à une plateforme quelconque, un organisme bancaire ou à Paypal. Pour les e-commerçants réalisant de nombreuses opérations depuis l’étranger, la suppression des frais de transaction pourrait vous permettre une économie de 4% sur leur chiffre d’affaires. Pour les vendeurs professionnels, c’est aussi un moyen de capter de nouveaux clients, en s’ouvrant au marché en plein développement des possesseurs de bitcoins et d’internationaliser leurs ventes.
On présage donc de belles perspectives pour les boutiques en ligne mais encore faudrait-il se pencher sur les faiblesses de cette technologie qui sont le flou total concernant son statut et sa régulation.
Ainsi, les tokens devraient-il être régulés comme des actions ?
La régulation des ICO comprend un double enjeu : d’une part, empêcher la multiplication des projets vides, voire frauduleux, qui sont apparus sur ce marché, et d’autre part améliorer le cadre légal des tokens issus de ces opérations. C’est le deuxième aspect qui pose les questions les plus intéressantes en termes de gouvernance des ICO.
La question principale à laquelle doit répondre le régulateur américain à l’heure actuelle est la suivante : les tokens doivent-ils être considérés comme des titres financiers ? De prime abord, la réponse semble être négative puisque les tokens émis lors des ICO offrent généralement le droit à leurs possesseurs de bénéficier des services de l’entreprise qui les a émis, sous des formes variées. En ce sens, les tokens de type Dapps constituent un simple droit d’abonnement ou d’usage, une forme de prépaiement auprès d’une entreprise, comme cela existe également sur le marché du crowdfunding telles que Kickstarter. Les tokens peuvent donc assumer de multiples fonctions. Certains représentent par exemple la réputation d’un utilisateur (Augur), d’autres des dépôts en dollars américains (Tether), ou l’encours d’un système monétaire autonome (Bitcoin).
Les tokens de type dapps – liés à un usage effectif d’une application – nous permettent d’approcher une « perfection économique » théorique : le prix des services d’une entreprise trouve valorisé à son utilité marginale. La valeur de l’entreprise est définie par l’intensité et la continuité de l’usage de ses services et le token en est le porteur, de manière bien plus précise qu’une action cotée sur un marché règlementé.
Néanmoins, selon un récent bilan effectué par le site Token Report basé sur l’analyse de 226 ICO, seuls 10% des tokens émis à ce jour auraient été utilisés par leurs acquéreurs pour profiter des services de l’entreprise émettrice. En clair, 90% des tokens seraient achetés uniquement dans une optique spéculative, pour être revendus ultérieurement à un prix plus élevé. Dans cette optique, les tokens semblent être bien utilisés par leurs acquéreurs comme des produits d’investissement, notamment comme des actions, et devraient donc être régulés en ce sens. C’est le sens de l’approche de la SEC américaine, la doctrine de la substance sur la forme : » on définit un token par l’usage qui en est fait. Curieusement la réponse à ce sujet d’actualité pourrait provenir de l’application d’une jurisprudence très ancienne datant de 1946 et désignée sous le nom de SEC vs Howey Co. « . En bref, cet examen juridique permet de déterminer si un produit doit être considéré comme un actif financier en répondant à un ensemble de questions simples, constituant le Howey Test ». Si ce test se révèle positif, ce qui pourrait bien être le cas pour beaucoup d’ICO, la SEC serait automatiquement habilitée à considérer certains tokens comme des securities ou des produits financiers. Reste à savoir si la SEC apliquerait une règlementation « dure » ce qui pourrait être pénalisant pour le futur développement du marché des ICO en les réservant à des investisseurs qualifiés, ou au contraire une règlementation douce qui assurerait une pérennité à ce marché naissant. Le discours du 11 décembre de Jay Clayton, président de la SEC, semble montrer que le régulateur envisage une réponse plutôt accomodante. « La technologie sur laquelle reposent les cryptomonnaies et les ICO peut s’avérer disruptive, transformatrice et efficace. Je suis confiant sur le fait que le développement des fintechs offrira des opportunités d’investissement prometteuses aux investisseurs (…) ».
Quel seront à l’avenir les droits des possesseurs ?
Un autre sujet fait également l’objet de vifs débats outre Atlantique, il s’agit de la question des droits dont bénéficient les possesseurs de tokens. Contrairement aux actions émises lors d’une introduction en Bourse, les tokens émis lors d’une ICO offrent actuellement très peu de droits aux investisseurs, en dehors du fait de pouvoir bénéficier de certains services de l’entreprise émettrice. Les possesseurs de tokens n’ont ainsi pas de droits de vote au conseil d’administration, de la société ni de pouvoir pour percevoir d’éventuels dividendes.
Pour les entreprises qui lèvent des capitaux via une ICO, les faibles droits des investisseurs constituent un avantage important puisqu’elles peuvent ainsi lever des sommes importantes sans subir les contraintes de l’entrée à leur capital d’actionnaires exigeants. Néanmoins ces avantages pour les investisseurs. Pour pérenniser le système des ICO, il sera donc important d’assurer à l’avenir une forme plus consistante de contre-valeur aux tokens, de manière à rendre ceux-ci plus attractifs pour les investisseurs. Des sociétés comme Aragon et Civic (qui permet la validation des bénéficiaires économiques) proposent des solutions pour soutenir une bonne pratique des ICO. Le sujet de la gouvernance est clairement au cœur des questions liées à la manière dont les régulateurs décideront d’encadrer le marché des ICO. A noter toutefois que même dans le cas où les tokens seraient à l’avenir associés à davantage de droits pour les investisseurs, les tokens déjà émis ne devraient pas pouvoir bénéficier de ces nouveautés de manière rétroactive.
On l’aura compris : la régulation des ICO et des tokens n’en est encore qu’à ses balbutiements mais le sujet est bouillonnant et restera passionnant à suivre dans les mois à venir. Nous ne manquerons pas de vous tenir au courant.