Parce que tout e-commerçant se doit de connaître les différents types de levées de fonds, nous avons cru bon chez Exentys de nous pencher sur le concept d’Initial Coin Offering (ICO). C’est un terme qui a le vent à poupe au vu de l’actualité autour de la crypto-monnaie mais on n’en cerne pas forcément les tenants et les aboutissants. En quoi donc consistent ces fameux ICO ?

Le point sur le principe d’une ICO

C’est une méthode de financement d’un genre nouveau où l’investisseur reçoit des tokens – des jetons – dématérialisés en contrepartie des fonds qui ont préalablement été versés sous la forme de crypto-monnaie. Il faut voir dans le principe d’une ICO une sorte de monnaie privée à l’image des miles distribués qui récompensent les clients fidèles aux compagnies aériennes.
Au cours de l’été 2017, pas moins de 20 milliards de dollars ont été levés grâce à ce procédé. Le chiffre impressionne en comparaison des 56 milliards levés par les procédés traditionnels au cours de l’année 2016.
Le phénomène des levées de fonds via ICO est donc mondial et, récemment en France, trois opérations ont été rendues publiques pour un montant estimé à un peu moins de 50 millions de dollars.

Passons à un exemple concret :

La société américaine Filecoin propose un service de stockage de données dont l’originalité est de ne pas offrir à ses clients des armoires de stockage, propriétés de la société, mais de mettre en relation des utilisateurs prêts à accueillir sur leur disque dur avec d’autres qui cherchent où stocker leurs données. Cette mise en relation suppose un réseau décentralisé entre utilisateurs. Les transactions utilisent une monnaie d’échange propre. L’ensemble repose sur la technologie de la blockchain qui apporte une sécurisation en l’absence d’opérateur central pour remplir cet office. Le réseau ainsi crée n’a pas vocation à produire des bénéfices, ce qui le prive a priori des options traditionnelles de financement. Pour financer son développement, il décide donc de vendre sa fameuse monnaie d’échange. Les perspectives vantées sont très positives : la monnaie est censée prendre rapidement de la valeur. Attirés par ces gains rapides et faciles, les intéressés sont nombreux et les 200 millions de dollars escomptés ont été réunis en l’espace de 60 minutes le 10 août !

Un eldorado pour financer toutes les entreprises ?

Si l’on passe par cette méthode, plusieurs obstacles devront d’abord être surmontés et on les perçoit clairement à y regarder de plus près… C’est finalement un mécanisme d’investissement inhabituel et contre-intuitif. Tout investisseur ne cherche-t-il pas d’ordinaire à connaître, au moment de sa mise de fonds, les titres, biens, services, intérêts ou garanties qu’il reçoit en contrepartie de son investissement ? Dans le cadre d’une ICO, ce n’est plus le cas. Les conditions de réalisation d’une ICO sont la plupart du temps définies dans un white paper qui fournit certaines caractéristiques des tokens reçus en échange de l’investissement, aucune garantie sur la valeur réelle (d’échange ou d’usage) de ces tokens n’est connue au moment de leur émission. D’ailleurs, dans la plupart des ICO menées à ce jour, les tokens ne sont porteurs d’aucun droit définit à leur naissance et donc dans le cas concret d’une ICO, les tokens sont donc à cet instant et dans ce cadre de purs objets spéculatifs.
Ainsi, Domraider – le site d’enchères en ligne qui a lancé la plus grosse ICO en France – demandait à chaque financeur l’adresse de son portefeuille électronique. Les Etherum reçus pouvaient être utilisés comme moyens de paiements sur le site, par exemple à titre de dépôt de garantie ou pour régler une enchère.
Les tokens peuvent constituer un net frein à la généralisation de l’utilisation des ICO. S’il s’agit de financer des structures utilisatrices de la blockchain, ils seront faciles à écouler pour régler les services offerts. Pour les autres sociétés, le jeton ne pouvant pas être utilisé en interne, il devra être cédé. Certes, de nombreuses plateformes – telles que Bittrex ou Coinone – offrent ce service mais avec de multiples incertitudes sur la fiabilité de l’instrument au vu de la difficulté à le qualifier de monnaie et de son cours qui varie du tout au tout !
Les opérations d’ICO créent une véritable bulle et les fraudes sont extrêmement fréquentes. En effet, parmi la multitude d’émetteurs dans le monde, de nombreuses sociétés n’existent pas et les fonds reçus n’étant pas placés sous séquestre, le risque est élevé de perdre la totalité de son investissement. L’origine des fonds est également souvent douteuse et les plateformes ne sont pas toujours très scrupuleuses pour appliquer les règles liées à la loi Sapin II destinées à lutter contre le blanchiment ou le financement du terrorisme. On avance couramment – sans qu’il soit possible de le vérifier – que 10% des fonds recueillis aux Etats-Unis par ICO seraient frauduleux, c’est-à-dire 150 millions de dollars. En Chine, on estime que 90% des 350 millions de dollars levés qui seraient frauduleux…

Face à ces chiffres alarmants les régulateurs se mobilisent !

La Chine a pris une position simple et radicale en interdisant les ICO à la fin de l’été 2017. La mesure est liée au contrôle important que ce pays a toujours exercé sur sa monnaie, y compris sur son cours vis-à-vis des autres monnaies dans le monde. En Chine, les transferts d’argent sont extrêmement contrôlés, alors forcément tout phénomène qui favorise l’émergence d’une alternative au système monétaire local pose de sérieux problèmes. A l’opposé, Singapour adopte une approche enthousiaste. Encourageant aussi bien l’utilisation que l’investissement dans les crypto-monnaies, la volonté affichée est clairement d’accueillir à bras ouverts les entreprises de blockchain qui souhaiteraient se lancer dans une opération de levée de fonds sous forme d’ICO.

La plupart des autres pays se situent entre ces deux extrêmes.

Aux Etats-Unis, des règles fiscales ont été posées autour de ces investissements mais la SEC n’a pas encore crée de nouvelle règlementation autour des crypto-monnaies et des ICO. Le 27 juillet 2017, elle a rendu une décision dans le cadre de l’ICO « The DAO » pour qualifier la crypto-monnaie créée à l’occasion de l’opération de security, notion définie par le Security Act de 1933, plus large que celle de « valeur mobilière » connue en droit français.

Elle a fondé cette qualification en relevant trois éléments : 1) les tokens matérialisent un investissement en espèce, 2) dans la perspective raisonnable d’obtenir des profits et 3) tirés des efforts de gestion ou entrepreneuriaux d’un tiers sur lesquels les porteurs de tokens disposent de droits de vote.

De son côté, la banque centrale de Russie alerte le grand public sur les risques pris lors d’un investissement dans une ICO et elle envisage de soumettre ces opérations à une autorisation préalable. La France se situe exactement dans cette ligne. Elle n’entend pas retenir une analyse globale sur la disparité de la nature des ICO. Toute la difficulté est d’apporter la réponse règlementaire adaptée, ce qui suppose de qualifier l’opération pour savoir si elle est nouvelle ou si elle constitue la simple utilisation de mécanismes existants dont il faudra alors appliquer le régime. L’AMF a lancé une consultation sur les différentes pistes d’encadrement possibles. Elle considère que « si une partie des ICO observées pourrait relever de dispositions légales existantes (règlementation applicable aux intermédiaires alternatifs, notamment), la plupart de ces émissions resterait, en l’état actuel du droit, en dehors de toute réglementation dont l’AMF assure le respect ».
Elle envisage trois options pour encadrer les ICO : soit promouvoir un guide de bonnes pratiques à droit constant, soit étendre le champ des textes existants pour appréhender les ICO comme des offres de titres au public, soit proposer une législation nouvelle adaptée aux ICO. Elle n’entend donc pas fermer la porte à ce nouveau financement. Bien au contraire, en effet, elle lance un programme d’accompagnement et de recherche des levées de fonds en actifs numériques, baptisé UNICORN (Universal Node to ICO’s Researche and Netword) qui vise à offrir à ces porteurs de projets un cadre permettant le développement de leurs opérations et de veiller à la protection des acteurs et investisseurs souhaitant y participer. Elle souhaite donc recevoir tous les initiateurs de projets afin d’approfondir son expertise juridique et économique des opérations réalisés et de leurs implications dans l’économie traditionnelle.

Nature juridique de la crypto-monnaie :

Pour qualifier l’opération, il faut définir la nature juridique de ce que l’investisseur reçoit, c’est-à-dire l’actif numérique ou jeton appelé souvent crypto-monnaie. Le plus souvent, il ne peut pas être qualifié de « titre financier » au sens de l’article L211-1 du Code monétaire et financier. En effet, il n’est ni un titre de capital, faute d’accès au capital et de droit de vote, ni une obligation en l’absence de droit de créance, ni une part ou action d’organisme de placement collectif. Il est donc exclu que son placement soit qualifié d’ « offre au public de titres financiers » soumis aux articles L.411-1 et suivants du Code monétaire et financier.
En revanche, le token se rapprocherait du régime des biens divers. La notion de « biens divers » n’est pas précisément définie par les articles L.550-1 et suivants du Code monétaire et financier qui précisent juste que les opérations sur biens divers peuvent consister en la souscription de rentes viagères ou l’acquisition de droits « sur des biens mobiliers ou immobiliers lorsque des acquéreurs ne s’assurent pas eux-mêmes la gestion ou lorsque le contrat offre une faculté de reprise ou d’échange et la revalorisation su capital investi ». Peuvent donc constituer des biens divers, les biens mobiliers ou immobiliers sur lesquels l’investisseur est susceptible d’acquérir des droits réels – sans que les biens visés ne soient énumérés – ce qui crée une imperfection relevée par la plupart des auteurs. Aujourd’hui sont englobés dans cette qualification les bouteilles de vin, les objets d’art, les manuscrits, etc. La loi impose des règles très strictes pour toute communication incluant « toute personne qui propose à un ou plusieurs clients ou clients potentiels d’acquérir des droits sur un ou plusieurs biens en mettant en avant la possibilité d’un rendement financier directe ou indirect ou ayant un effet économique similaire » (C. mon. Fin. Art. L.550-1, II). Au vu de la rédaction des white papers et des discours couramment tenus lors des ICO, les sociétés proposant des jetons pourraient certainement être soumises à ce régime.
Aujourd’hui, après conseils avisés d’experts, les dirigeants de Domraider comptabilisent les jetons en chiffres d’affaires.

L’ICO, une révolution copernicienne ?

Le mécanisme des ICO empêchera sans doute la mise en place d’une réglementation trop stricte puisque l’incertitude de l’investisseur est le terreau sur lequel prospèrent les ICO et que la norme vie par essence à réduire cette incertitude ! Il semble donc exister une contradiction naturelle entre l’ICO et le concept de norme, et ce, d’autant plus que l’univers des crypto-monnaies s’est justement construit autour d’un modèle dit « distribué » rejetant la notion d’autorité de contrôle. L’AMF, on l’a vu, pense à des bonnes pratiques mais on pense que l’absence de règlementation risque de décourager la majorité des investisseurs qui seront à l’avenir sans doute plus frileux que les pionniers de 2017.

Comment concilier les intérêts en présence ?

L’équilibre pourrait être trouvé via un cadre réglementaire minimal aux contours strictement définis. Ce cadre pourrait être construit autour de l’obligation pour l’émetteur de fournir un certain nombre d’informations essentielles au marché avant le lancement d’une ICO notamment l’identité des bénéficiaires économiques finaux de l’opération. Il devrait au moins pouvoir justifier de son identité ainsi que la raison pour laquelle il sollicite le concours de tiers pour financer son activité en s’affranchissant des méthodes de financement classiques. De cette manière, à défaut d’une quelconque certitude sur la valeur effective des tokens reçus, l’investisseur saura au moins à qui il remet ses fonds.
Ce cadre établi, il serait nécessaire d’aménager un régime de responsabilité sanctionnant strictement toute pratique contrevenant à ces règles. Il doit y avoir une responsabilité civile appliquée aux promoteurs des ICO et elle devrait être assortie d’une responsabilité pénale puisque l’appel au public pour lever des fonds implique une protection qui va au-delà de la simple préservation d’intérêts particuliers.
Nous pensons que c’est d’ailleurs à ce prix qu’un niveau de confiance minimal entre investisseurs et émetteurs pourra être trouvé.